Sur les quais
Une gare, quelque-part. Assis sur un banc, au bout des quais, ils attendent. Autour d'eux, aucun voyageur, personne ne va jamais jusque là. Plus loin, une pendule digitale donne fièrement l'heure en gros chiffres orange. À force d'afficher toujours les mêmes trains, le vieil écran peine lui à indiquer clairement les arrêts desservis. Au milieu d'images fantômes laissées par d'autres trains, ils distinguent tant bien que mal un numéro, des symboles, des noms inconnus. Ça leur est bien égal, en fait, où s'arrête le train. Main dans la main, ils ne parlent pas beaucoup. Il sait qu'il ne va plus la voir pendant de longues semaines, elle sait qu'elle va lui manquer. C'est un moment particulier, calme, intense. Mais le chef de gare émerge du passage souterrain, les haut-parleurs annoncent l'arrivée du train. Coup de sifflet, mouvement de la caténaire et chuintement des rails. Ils se lèvent. Dans le grondement du moteur de la locomotive puis le grincement strident des freins, ils s'embrassent une dernière fois. Les portières s'ouvrent, des gens descendent, d'autres montent. On fait des signes d'au-revoir, on aide les passagers chargés... Sur la plate-forme de la dernière voiture, elle sourit. Elle n'aime pas le train, il le sait, mais cette fois, elle ne le montrera pas. À une centaine de mètres de là, sur un signal, deux lampes rouges s'éteignent, remplacées par une verte. Nouveau coup de sifflet, nouvelle annonce. Il lui lâche la main et la porte se referme brusquement. Derrière la vitre, elle lui envoie un dernier bisou, marque d'amour immatérielle qui se faufile malicieusement entre les mots "Issue de secours" inscrits sur le verre pour venir lui réchauffer le cœur. Il a juste le temps d'imiter son geste, et, presque sans bruit, le train démarre. Sur le signal, la lampe verte s'efface, les deux rouges resurgissent. Silencieux, il suit des yeux les deux feux arrière qui s'éloignent, se troublent puis disparaissent. Elle est partie...
Commentaires
J'aime beaucoup.