895805



Parmi le nombre conséquent de trains qui circulent en France tous les jours, il en est certains pour lesquels j'ai un petit faible. Parce qu'ils assurent des relations "exotiques", parce qu'ils sont sans pareil, parce qu'ils dégagent une certaine ambiance ou tout simplement parce qu'ils ont une signification pour moi. C'est difficile à expliquer, en fait. Ces trains-là, je les aime bien, c'est aussi simple que ça.
Le TER n°895805 fait partie de ceux là. À priori, rien de bien extraordinaire: ne circulant que les samedis et les lundis, il assure la relation Besançon => Lyon Perrache. Oui, mais voilà, le 895805 a quelque-chose en plus. Il quitte la gare de Besançon-Viotte à 4h53. Ouh, mais c'est bien tôt, ça, me direz-vous. Bien entendu, vous répondrai-je, et c'est justement ce qui est intéressant. D'abord, il faut savoir que c'est l'un des rares TER bisontins à être composé d'une rame réversible tractée par une BB25200. Autrement dit, c'est à une locomotive qui commence à sérieusement dater et à une longue rame tractée de 9 voitures que nous avons affaire. La première fois que je l'ai pris, je m'attendais à trouver un train tout riquiqui, à "un seul wagon" comme disent parfois les voyageurs. Que nenni! S'imposant de toute sa longueur sur la voie B, défiant le Corail Lunéa quittant en théorie la gare une minute avant lui, Sieur 895805 se paye le luxe des trains de pointe. Autant vous dire qu'à 4h53 le samedi, la gare ouverte depuis à peine 20 minutes, il n'y a pas foule pour admirer le spectacle. Et encore moins pour grimper à bord.
Comme il n'y a pas de bus à cette heure là, lorsque j'emprunte ce train, je me lève à 3h50 et je me rends à la gare à pied. Et, aussi flemmard et accroc à mon oreiller que je suis, j'adore ça. Pourquoi? Parce que c'est à une autre ville que l'on a affaire à cette heure là. Les rues habituellement encombrées de voitures, camions et autres scooters sont désertes. Au carrefour, les feux rythment un flot de circulation invisible et se reflètent sur le bitume dans la lumière orangée des lampadaires. Ce que l'on connaît dans un brouhaha permanent n'est plus qu'un désert silencieux. C'est assez impressionnant. Tard le soir, ça n'est pas vraiment pareil: il y a encore du monde et pas mal de voitures, voire des bus. Pas le samedi matin, pas lorsque le 895805 quitte Besançon. Dans la fraîcheur matinale, je trouve une énergie nouvelle au milieu de ce paysage bien connu et pourtant si différent. J'avoue, j'aime descendre la rue de Vesoul en ne croisant personne ou presque, voir s'afficher "4h25, +7°" en chiffres rouges sur le panneau d'une banque quelconque. J'aime n'entendre que le ronronnement discret de la 25200 prête au départ lorsque je m'approche de la gare. Je ne sais pas trop pourquoi, mais c'est ainsi, c'est vraiment quelque-chose de tout bête et de très spécial à la fois. Et puis, avoir une voiture rien que pour soi dans le train, c'est aussi quelque-chose qu'on ne peut s'offrir tous les jours... Évidemment, ça n'est pas très écologique, mais la ligne est électrifiée et il faut bien rapatrier la rame qui assure un TER pas trop mal rempli le vendredi soir. Si ça peut servir à ne serait-ce que 5 personnes, c'est déjà positif! D'autant qu'un mécano m'a confié que les lundis, il y avait quand même du monde. Et puis ce fameux train s'arrête dans plusieurs petites gares sur son parcours, dépassant allègrement de plusieurs voitures la longueur des quais, et je trouve que c'est quelque-chose d'assez spécial de stopper sur un quai complètement décrépi à 5h30 du matin, alors qu'il fait encore nuit noire et que seuls les panneaux de gares rythment la marche du train. En bref, j'aime beaucoup l'ambiance qui règne lors de ce trajet: du départ de chez moi jusqu'à l'arrivée à Lyon Part-Dieu, il ne se passe finalement pas grand-chose, mais c'est un petit plaisir pour moi que d'ouvrir la portière de la dernière voiture, de choisir un fauteuil moelleux et de me laisser bercer par le battement des rideaux dansant au fil des courbes pour finalement sombrer dans un demi-sommeil tellement agréable... Voir la Lune à peine masquée d'un fil de nuage, arriver à Ambérieu et sentir le soleil se lever et envelopper les montagnes d'une douce lumière orangée, puis descendre encore un peu hébété de la bulle agréable que constitue la voiture pour démarrer sa véritable et longue journée à Part-Dieu, c'est ça le 895805. Et c'est pour tout ça que je l'aime, mon petit TER matinal...
Voilà, j'ai écrit cet article parce que j'avais envie de vous faire "découvrir" ce train ordinaire et en même temps très spécial que j'affectionne particulièrement. C'est vraiment une émotion indescriptible que je ressens lorsque je dois le prendre, et je n'arrive donc pas à la retranscrire tout à fait avec des mots, d'autant que pour vous cela doit paraître terriblement étrange. C'est comme ça, j'aime ce train, j'aime son ambiance et j'espère que ces quelques lignes vous auront donné un aperçu assez fidèle de ce qui n'est finalement qu'un simple numéro, qu'un simple train, qu'un simple tas de ferraille. Et pourtant...

Commentaires

Joanna a dit…
Certains objects ont l'art de nous faire vibrer, qu'ils soient en plastique ou en métal. J'aime beaucoup le ton poétique de ta description, Armand.
mca a dit…
Pas étrange du tout ! Merci pour cette description. tu mets de jolis mots et de jolies phrases sur des sentiments que je ressens aussi quand il m'arrive de prendre le train de bon matin.

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